Quelques réflexions, après mes WSOP, à tête reposée
Déjà une semaine que je suis rentré de Las Vegas, mais j’ai volontairement laissé passer un peu de temps pour faire une sorte de compte rendu, non pas dans le feu de l’action, mais une fois l’excitation un peu retombée.
1. Le main event des WSOP, faut le jouer pour comprendre ce que c’est…
… ce que j’ai eu la chance de faire deux années de suite.
Pourquoi je commence par là ? Parce que je vois beaucoup de commentaires sur le fait que ce tournoi est devenu une loterie vu le nombre de joueurs, que squatté par les joueurs internet on y trouve une majorité de fishs…
Ce tournoi, c’est avant tout un MARATHON.
Le premier jour, on se retrouve dans une salle gigantesque, 220 tables de 10 joueurs, le bruit des jetons est assourdissant.
Il s’agit alors de jouer 6 niveaux et demi, soit 13 heures de poker non stop avec des breaks de 20 minutes toutes les deux heures plus un break un peu plus long pour le diner. Au total, on commence à midi et on finit à plus de 3 heures du matin.
Dans une journée telle que celle-ci, on va jouer environ 400 mains.
Quand on arrive à la fin de la première journée, les sensations sont bizarres. Vu l’épuisement (physique et mental), le nombre de coups joués, de pots gagnés ou perdus, de coin flips tentés ou pas, de mains jetées, de relances, de calls, de checks… on n’a l’impression d’avoir joué un tournoi entier. Et pourtant, quand la journée se termine, on va juste mettre ses jetons dans un sac en plastique pour avoir le droit de rejouer une journée day 2 A ou B avec à nouveau près de 2000 joueurs et il faudrait encore passer un tel marathon pour enfin se retrouver au day 3 avec l’ensemble des joueurs restants…
Bref, par rapport aux commentaires de certains, y compris d’ailleurs de très bons joueurs, il faut comprendre que certains coups qui peuvent paraître mal joués s’expliquent par la tension, la fatigue, les coups de haut et de bas psychologiques inévitables au cours d’une telle journée ! Bref, bien installé dans votre fauteuil et en train de laminer vos adversaires dans un MTT sur Pokerstars, avant de traiter de fish tel ou tel joueur en lisant un compte rendu forcément succin d’une de ses mains sur cardplayer, dites vous une seule chose : ce tournoi est un truc de malades totalement incompréhensible si on n’y participe pas.
2. Le jeu internet / le jeu au main event
Question technique de jeu, je ne vois pas de réelles différences. Rien d’étonnant en soi, vu que la majorité des joueurs du main event ont gagné leur ticket sur internet !
De fait, on commence la journée à une table avec deux ou trois joueurs de pokerstars, un de partypoker et un de bodog. Si vous rajoutez un vieil américain avec son chapeau de cow boy et un asiatique très concentré et au visage impénétrable, vous avez une bonne vision de ce que peut être une table du day 1 aux WSOP…
La principale différence, je la vois plutôt dans la capacité à jouer son jeu sur une énorme durée tout en restant dans la même phase du tournoi. Je m’explique. Un bon joueur de tournoi sur internet est habitué à une certaine routine, avec différentes phases de jeu qui se succèdent relativement rapidement : début de tournoi, puis jeu plus ou moins agressif selon qu’on a accumulé rapidement des jetons ou pas, approche de la bulle, phase ITM, approche de la table finale, table finale… Le joueur internet est donc habitué à s’adapter aux différentes phases d’un tournoi, cela d’autant plus facilement que la taille de son tapis par rapport aux blindes va l’y forcer.
Or, au main event des WSOP, on joue pendant 15 heures la même phase du tournoi, c’est-à-dire les prémices de celui-ci. Alors certes, vu de loin, ça a l’air d’autant plus facile !! « Quelle chance de jouer avec des tapis profonds et des niveaux de deux heures ! » Mais d’un autre côté c’est assez déroutant. Tout le day 1, j’ai eu en permanence un M > 30. Cela donne a priori toutes les possibilités de jeu, mais cela complique aussi les choses. D’où certains coups parfois bizarrement joués : doit-on tenter des tirages sans avoir les cotes vu la profondeur du tapis, doit-on jouer beaucoup plus loose en profitant du tapis ou au contraire plus tight ???
En tout cas, cette sensation d’avoir « le temps » est à la fois rassurante et déroutante, car on ne se sent plus « cadré » par une obligation d’adapter son jeu à l’avancement du tournoi.
En tout cas, mais peut-être était-ce le hasard de ma table, je n’ai pas eu l’impression de jouer contre des fishs (le premier qui dit que dans ce cas c’est que le fish c’était moi…). A ma table, le joueur de meilleur calibre était Nicolas Fradet (dit « le prince », voir www.princepoker.com). Il y avait aussi un présentateur de show à la télé américaine, joueur tight assez weak, et sinon des joueurs internet plutôt tight, mais pas enclins à distribuer gentiment leurs jetons ! En 15 heures de jeu, je n’ai pas vu de coups horribles, de calls débiles, de bluffs annoncés à toute la table. Bref, un jeu honnête et du niveau qu’on trouve dans un tournoi de bon calibre sur internet une fois l’écrémage des deux premières heures effectué.
Par contre, clairement, certains joueurs (dont moi très certainement) ont une expérience très limitée en live. Et c’est là que la différence peut se faire. Certes, certains chaussent leurs belles lunettes noires, te fixent longuement après une relance ou (le plus énervant) demandent « combien il te reste de tapis » après ta relance alors qu’ils savent qu’ils vont jeter leurs cartes (mais ils l’ont vu faire à la télé), mais à part singer ce qu’ils ont vu lors des retransmissions ESPN, ils n’ont aucune manière de sentir les autres joueurs, de leur en imposer psychologiquement, de sentir leur faiblesse et d’en profiter.
Pour ma part, je me suis largement concentré sur le jeu de Nicolas Fradet, qui était le meilleur joueur de la table et c’est assez impressionnant de voir comment il pouvait utiliser sa domination psychologique de la table pour placer une relance a bon moment pour profiter de la faiblesse de tel ou tel adversaire. Bon, cela ne m’a pas empêcher de doubler sur lui avec un pot de près de 50 000$ grâce à un joli coup de chaaaaaaaaaaaaaaaaaaaatte (flush à la rivière contre ses deux paires au flop), mais c’est une autre histoire…
3. Différences entre mes WSOP 2005 et 2006 et mon day 1
Une différence essentielle était que j’estime avoir un bien meilleur niveau qu’à l’édition 2005. Le nombre de tournois et les quelques résultats réussis sur internet portent quand même leurs fruits !
Surtout, j’avais beaucoup plus confiance en moi et j’étais beaucoup plus détendu.
Pourtant, malgré un rush de cartes impressionnant au début (KK, AK, QQ et TT le premier tour de table !!) mais inutile car les toutes premières mains jouées cela ne m’a rapporté le plus souvent que les blindes, les choses n’étaient pas réellement bien engagées. J’ai oscillé entre 8000 et 10 000 chips les trois premiers niveaux et après le diner break, je suis même dangereusement descendu à environ 5000 jetons.
Mais je suis resté confiant. Il faut dire que j’avais évité l’élimination de peu. Alors que 4 joueurs avaient limpé à 200, je relancais de 1000 à la BB avec un joli AK. Deux joueurs suivent ma relance et le pot approche déjà 4000. Le flop s’affiche K 3 2, a priori parfait pour moi et je fais un bon bet. Gros raise de N Fradet derrière moi et call immédiat du 3ème larron. Oups, malgré les cotes du pot et le fait que je vais rester à ce moment avec moins de 6000 jetons, je jettes ma main. Ils vont aller à tapis avec leur brelan de 3 et de 2 floppés !! ouf, good laydown.
Puis va venir le temps d’amasser des jetons. Cela faisait quelques mains que j’essayais de limper en position avec des mains moyennes, mais je me faisais relancer à chaque fois.
Je retente le coup avec T9 suited à cœur.
Le flop vient 9 9 8 avec deux trèfles. Compte tenu de ce flop à tirages, je mise environ les deux tiers du pot et suis suivi par le joueur à ma gauche. Je le sens bien sur un tirage couleur. Le turn est un T. Et là dans ma tête c’est alerte rouge : en plus du tirage couleur il y a des possibilités de quinte dans tous les sens ! J’oublie juste au passage que ce turn me donne un magnifique full et qu’à part un improbable TT dans la main de mon adversaire, j’ai quasiment la main gagnée… Oubliant ce détail et suivant mon instinct que mon adversaire est sur un tirage à la couleur, je mise fort pour couper se cotes… Mais il me relance pour la totalité de son tapis. Je le couvre mais je me sens battu… A ce moment je vois Fred (Albatros) qui observe le coup. Je hausse les épaules en le regardant et pousse, presque à regret mes jetons au milieu de la table. Mon adversaire montre 7 et 4 de trèfle !!! Il est éliminé, mais n’ayant toujours pas compris que j’avais déjà gagné la main, je suis presque vert en attendant la rivière : pas de trèfle, pas du 6, pas de valet !!!! Et quand je vois un magnifique 2 de carreau tomber à la rivière, je crie un YESSSSSSSSSSS comme si je venais de gagner un dangeureux coin flip… Ca fait bien marrer Fred en tour cas…
Puis vient cette main heureuse pour moi quoique sans doute mal jouée.
Je check de BB avec J4 à pique et le flop s’affiche avec un valet et deux piques. Ca pourrait être pire. Je check, Nicolas Fradet mise un bon montant, je le relance à 4000 et sans hésiter il annonce tapis. Oups… Je pense d’abord folder. Il me resterait encore 13 ou 14 000 chips. N Fradet n’est pas un rigolo et s’il va à tapis alors que je viens de le relancer fortement… Mais d’un autre côté, il peut aussi essayer de profiter d’un signe de faiblesse de ma part (n’ai-je pas un peu trop tremblé en annonçant ma relance à 4000 ??) pour mettre son tapis pour me faire folder…
Si je gagne, je me retoruve à 45 000 chips, en très bonne position… J’hésite, j’hésite, me dis qu’avec un peu de chance les J et les 4 sont des outs pour moi en plus des piques et finalement je call !
Il montre deux paires au valet OUPS, je suis mal. Je n’ai plus qu’à me lever et appeler de toutes mes forces les piques !! Une dame de carreau au turn me rapproche de l’élimination. Mais un magnifique roi de pique me fait sauter au plafond (et il est haut dans le centre des expositions du Rio) et passer à 45000 !!!!
L’excitation retombe un peu puis je joue une main que je ne sais toujours pas si je dois regretter ou pas.
J’ai JJ et relance fort et suis relancé à tapis par un relatif shortstack. Relatif, car avec ses 13 14000 chips, il est alors bien en dessous de la moyenne, mais il a quand même de quoi me faire mal. Je ne le vois pas sur une paire supérieure à la mienne et je suis prêt à tenter ce coin flip. Il montre AK et trouvera à la fois un As et un K…Je redescends à moins de 30 000 sur ce coup. Je n’arrive pas, même plus d’une semaine après, à savoir si je devais jouer ce coup ou pas. On est typiquement dans la situation que j’expliquais au paragraphe 2. Avec 40 000 jetons sur des blindes 150/300 à ce moment là, j’ai le temps de voir venir. D’un autre côté, si je gagnais je passais à 60 000 et étais parmi les chipleaders du day 1 !
En tout cas, ca me porte un sale coup au moral. Associé à la fatigue qui commence à se faire largement sentir, ce sentiment (plus que d’avoir perdu le coup, l’impression d’avoir joué une main que j’aurais dû folder) me rend amorphe pendant près d’une heure. Et quand on est amorphe et que les blindes et les ante commencent à jouer leur rôle, le tapis commence à s’effriter. Je me retrouve alors à 25 000.
Heureusement, je me reprends sur le dernier niveau et vais finir la journée avec plus de 32 000 chips.
A noter la dernière main de la journée. Le TD vient d’annoncer la fin du temps imparti et on commence à se congratuler d’avoir atteint le fin du day 1. Mais N Fradet fait remarquer que le dealer avait déjà ramassé les cartes avant la dernière seconde du temps imparti pour la journé et que nous devions donc jouer une dernière main. Le malin 1 Il veut profiter du relachement général pour voler un dernier coup les blindes et les antes… IL est UTG et fait une bonne relance. Tout le monde se couche à toute vitesse jusqu’à la grosse blinde qui annonce tranquillement « ALL IN ». Nicolas est bien obligé de coucher son magnifique 8 3 déparaillé !!! tandis que la BB montre KK !!!
4. day 2, le grand désert
J’aborde le day 2 en pleine confiance et prêt à me battre autant qu’il le faudra, mais je n’ai aucun jeu. Mais alors ce qui ne s’appelle aucun jeu… En plus de 6 heures de jeu, j’ai vu une paire de 2, une paire de 8 et AJ comme meilleures mains !!! Même pas quelques connectors à jouer en position, rien de rien…
Je ne reviendrais pas en détail sur ce day 2 à oublier (je l’ai fait sur le clubpoker) ni sur les raisons qui m’ont poussé à aller à tapis avec mon KQ suited à cœur.
En tout état de cause, je suis éliminé au day 2, comme en 2005.
5. Quelques anecdotes
Sur un flop anodin, un adversaire mise. Je lui dis « if i reraise you and give you a freshmint, will you fold ? » en montrant mon paquet de tictac. Je relance et il folde. Un peu plus tard, je l’entends qui marmonne quelque chose à mon attention. Je lui fais répéter : il réclamait juste son tictac !
Au tournoi du Wynn, je me lève quelques instants pour m’étirer et en me rasseyant, je me cogne violemment le genou contre la caisse qui sert au rake en CG. Le dealer est désolé et me plaint. Je lui dis : « c’est pas grave, donne moi les as ça va aller mieux ». La table rigole. Moi je regarde mes cartes et vois deux magnifiques as rouges !!! J’annonce à la table que le dealer avait rempli sa mission mais personne ne me crois et nous somme 4 à voir le flop malgré ma relance. Je mise fort au flop et ils se couchent. Je montre fièrement mes AS et la table regarde le croupier en se demandant si c’est pas truqué !
Mon ticket d’entrée aux WSOP est signé par Greg Raymer. Il jouait le day 1 à une table à côté de la mienne. C’est peut-être puéril et certains se disent sans doute que j’aurais mieux fait d’être ITM que d’avoir l’autographe de Raymer, mais bon c’est aussi pour vous dire que jouer les WSOP ça doit rester aussi une part d’émerveillement. Même si ce n’est pas un but en soi (quand on est dans un tournoi de poker, on veut le gagner !), participer au main vent des WSOP c’est quand même quelque chose !